À mesure qu’il grandit l’enfant va faire l’expérience de la frustration. Comment lui faire comprendre que dans la vie les choses ne se présentent pas toujours comme on le souhaite, et l’aider à accepter les contrariétés ?
Avec Anne-Claire Kleindienst, psychologue et psychothérapeute à Paris auteure de “Petit décodeur illustré de l’enfant en crise”, éditions Mango.
Poser le cadre, il n’y a sûrement rien de plus difficile quand on est parents de jeunes enfants. Car oui le petit-enfant se sent par nature fort et tout puissant. Il se voit en super héros et les limites que lui pose l’adulte lui sont tout simplement insupportables. C’est à vous parents, que revient cette périlleuse tâche de l’aider à tenir dans la frustration, corollaire immédiat de la nécessaire acceptation de ses limites. « L’être humain a une capacité d’action qui est prometteuse avec un immense potentiel mais en même temps à chaque fois des limites », souligne Anne-Claire Kleindienst. « Des limites de capacité, des limites imposés, oui c’est frustrant, cela génère de la contrariété, voire parfois de la colère et en même temps il s’agit d’un ‘mal’ nécessaire ».
Les deux faces de la frustration
Pour mieux comprendre cette notion de frustration, il est essentiel de faire un distinguo entre la frustration qui peut venir du « non », des règles et des lois répétés imposées par l’extérieur, (les parents, la société), et la frustration qui est différente, plus endogène, celle de ses propres limites, comme l’explique notre interlocutrice. « Je voudrais réussir à le faire, accéder à tel niveau, pouvoir aller à tel endroit et je me rends compte que j’ai des limites. Je n’y arrive pas et cela m’énerve, je suis frustré(e) d’être arrêté(e) dans ce que je croyais être ma toute-puissance. »
Une frustration que nous ressentons tous à un niveau ou à un autre. « Chez l’enfant, encore plus que chez l’adulte, ce sont ces deux faces de la frustration qui cohabitent, précise la psychologue. Elles se manifestent par un mouvement intérieur qui émerge sous une forme parfois un peu volcanique, une colère difficile à maîtriser. Et celle qui vient du “non”, des barrières à ne pas franchir, l’enfant peut vraiment la vivre comme une injustice. »
La frustration chez les hypersensibles
Certains enfants sont plus stables émotionnellement, plus dociles, ils gèrent mieux la frustration que d’autres à âge équivalent. Pour les enfants dits hypersensibles, c’est beaucoup plus compliqué. « Ce sont des enfants qui doivent métaboliser énormément de choses et qui sont souvent en limite de leurs capacités, explique Anne-Claire Kleindienst. Ils ont des capteurs très ouverts et reçoivent beaucoup d’informations de l’extérieur : les couleurs, les odeurs, les mouvements, les bruits, les émotions des autres, mais aussi les énergies qui sont complètement invisibles mais qu’ils ressentent ou perçoivent. Réussir à métaboliser tout cela dans leur organisme en cours de développement (et donc nécessairement immature) leur demande un effort surhumain. »
Comme ils sont souvent très intelligents, ils ont tout un système de pensées, de croyances qui est très actif et qui entraîne de sacrés mouvements intérieurs. De fait, la moindre contrariété, la moindre résistance, le moindre refus, viennent percuter cette intériorité déjà très stimulée.
“Ces enfants ne supportent pas bien qu’on leur pose des limites et paradoxalement ce sont ceux qui en ont le plus besoin parce que ces limites sont contenantes, rassurantes et protectrices. Ils donnent l’impression de vouloir faire rompre le cadre alors qu’en fait ils en éprouvent la solidité.”
En effet, plus le cadre qu’on pose est ferme et clair, plus les règles sont constantes et prévisibles, plus l’enfant se sent en sécurité.
Rester ferme
Poser des limites structurantes, les répéter, voilà une des clés essentielles pour apprendre à nos progénitures à accepter et comprendre le refus. Ce faisant, aucun cadre ne sera bien intégré s’il ne s’ajuste pas au tempérament de l’enfant. “Quand on lui refuse quelque chose la question n’est pas de se dire : “est-ce que c’est injuste ou pas ?” Le vrai sujet, c’est ce que le tout-petit ressent. Ce n’est pas tant la réalité pure que son ressenti qui compte, insiste Anne-Claire Kleindienst. Une décision d’un parent peut être tout à fait juste dans le sens où elle est appropriée, pertinente, cohérente, mais l’enfant, dans son référentiel à lui n’intègre pas tous ces éléments et donc n’en comprend pas la justesse”. Alors que faire en cas crise ? Vous savez quand il menace de faire un scandale car vous refusez d’acheter un paquet de bonbons à la caisse du supermarché ou quand vous n’acceptez pas qu’il continue à regarder la télévision…
Valider son ressenti
Dans ces moments-là, vous pouvez vous approcher de lui, vous mettre à sa hauteur, écouter son émotion et valider son ressenti, c’est à dire verbaliser ce qui est en train de se passer. Vous tenez le cadre, et vous reconnaissez ce qu’il est en train de vivre. « Oui tu en avais très envie / tu voulais continuer ce jeu et tu es contrarié car c’est maintenant l’heure du bain »… Valider ce ressenti ne veut pas dire “je suis d’accord”. C’est simplement lui faire comprendre qu’il a le droit d’être en colère. Le ressenti de l’enfant est ce qui l’habite à ce moment précis et il peut exprimer son émotion s’il le souhaite. En revanche, il n’a pas le droit d’avoir un comportement qui détruit tout sur son passage. Il n’a pas pas le droit d’insulter, de faire du mal ou de casser le matériel. Ensuite vous pouvez laisser entrevoir un autre plaisir, c’est la technique de la diversion qui consiste à l’amener sur un autre sujet pour qu’il ne focalise plus son attention sur sa frustration.
Se faire aider
Quand tirer la sonnette d’alarme ? Si vous sentez que votre enfant est vraiment en difficulté (et que vous l’êtes aussi), si cela génère des comportements qui sont inappropriés et envahissants dans votre quotidien, des situations qui se répètent plusieurs fois par jour, alors oui une aide extérieure peut se révéler utile pour démêler cette problématique. Mais il n’y a pas de recette miracle, prévient Anne-Claire Kleindienst.
“On ne peut pas regarder l’enfant et son symptôme sans le regarder dans son écosystème familial. Son symptôme est très en lien avec la relation qu’il a avec ses parents, l’histoire de sa famille et l’état psychologique de chacun.”
D’où l’importance de s’interroger sur les expériences vécues dans son enfance, partir à la découverte de sa propre sensibilité. Mais rassurez-vous, en grandissant, l’enfant va apprendre émotionnellement à supporter de mieux en mieux cette frustration. Ses propres limites et celles qui sont autour de lui, s’intégreront naturellement et progressivement dans son schéma de développement et ce d’autant plus qu’il aura été accompagné pas à pas par ses parents tout au long de ses premières années de vie.